Dar-es-Salam, le 8 février 1928
Mon cher papa, ma chère mother,
Me voici à Dar-Es-Salaam. C’est un four en cette saison. Nous avons débarqué avant hier, tout s’est bien passé ; nous avons évité le débarquement à Zanzibar qui n’avait rien d’agréable, car nous aurions dû y séjourner jusque vendredi prochain en attendant le petit steamer qui fait le voyage en six heures Zanzibar – Dar-Es-Salaam, et ce, dans un hôtel peu confortable.
Ici, l’hôtel est bien, mais on ne sait où se fourrer pour ne pas mijoter dans son jus … la nuit surtout est insupportable, on ne s’endort qu’au matin.
Dar-Es-Salaam n’a guère changé depuis 6 mois, à part quelques nouvelles constructions et magasins, mais les quelques personnes que j’y connaissais ne sont plus ici.
Nous sommes une dizaine de belges à partir pour Kigoma vendredi soir – les uns sympathiques, les autres moins, et quelques autres que je ne connais même pas.
J’ai fait la connaissance hier d’un M. Claes de Hasselt qui part pour une société à Usumbura ( Usa ) (Genex). Il est marié et père de 2 enfants, mais voyage seul. Il serait parent des Claes d’Alken, Goe ??? etc… et, en parlant de Hasselt, il me dit que Marguerite Hechtermans (cousine sous-germaine de L.H.) serait fiancée avec son cousin, à un Carlo Claes ?! Je me demande ce que c’est pour un monsieur, il a l’air bien élevé, mais que va-t-il faire dans cette société ? Je tâcherai de l’apprendre un de ces jours. Il parlait tantôt comme si sa famille était des distillateurs plus ou moins ruinés.
Nous serons près de dix à voyager ensemble jusqu’à Usa, il y a encore le chemin de fer du vendredi soir à lundi matin comme rude étape, et les journées du lundi et mardi dans le désert de Kigoma … puis cela ira mieux. Je serai content surtout quand je serai grimpé sur les plateaux du Kivu !
J’envoie par même courrier 3 prospectus des Messageries Maritimes avec quelques renseignements et vues des escales – aussi 2 photos prises par mes compagnons de voyage à Djibouti. Le bonhomme à lunettes et chapeau de feutre est l’ami de Walter de C. (Creeft) ; nous lui (à Walter) avons envoyé ce jour une carte à Sumatra.
Les escales ont été moins intéressantes pour moi que la première fois et les derniers jours du bateau, malgré une fête organisée pour le passage de l’équateur (où je fus une seconde fois baptisé tout habillé par les lances à eau) ne furent pas très gais ; la chaleur y était d’ailleurs pour beaucoup. Ici, on se rend compte que l’on est en Afrique et bien près du Congo. Les nègres qui parlent le « swaheli », le soleil, les fruits, les moustiques etc… Les boys de l’hôtel nous servent très bien, il m’ont reconnu et, en général, ils préfèrent les belges aux anglais … peut-être bien seulement à cause du pourboire ?! N’empêche qu’ils sont fort respectueux et que ça fait plaisir quand des noirs qu’on a connus à peine quinze jours, et très peu, vous reconnaissent et viennent vous dire bonjour.
Cher papa, chère mother, je ne veux pas terminer cette lettre sans vous remercier de m’avoir tant choyé pendant mon congé. A tous les frères et sœurs aussi d’ailleurs et à la bonne tante Maria je dois des remerciements, car tous, comme vous, ils ont eu pour moi mille petites attentions auxquelles j’ai été fort sensible et que je ne saurais assez apprécier. La perte de la pauvre bonne maman à part, je n’aurais pas su passer un meilleur congé que les quelques mois que je viens de passer au milieu de vous.
A toi particulièrement, ma chère mother, mille fois merci de m’avoir tant gâté et de t’être donné tant de peine à composer mon équipement.
A un de ces jours, cher papa et chère maman, tous mes plus affectueux baisers à tous, spécialement à vous, et à mon grand camarade Dédé (André de Lamotte, son neveu, fils de sa sœur Marie épouse de Ferdinand de Lamotte) !