Lettre 5






Lac Kivu, Mushao. Pâques 1928

                                       Mon bien cher papa,

Merci de tout cœur à maman et à toi pour vos affectueuses missives. J’ai reçu en même temps les deux lettres et ta carte du 3/2.
J’ai été bien peiné d’apprendre le pauvre état de santé de mother et j’espère bien que le prochain courrier me rassurera, quoique tu me dises que ce n’est rien de grave.
De Tensette, plus de nouvelles depuis la première lettre reçue ici ; je suppose qu’elle attendait un mot de moi et que je recevrai une lettre par prochain courrier avec de bonnes nouvelles de maman et bébé. Évidemment, il est plus difficile d’élever un bébé sous les tropiques qu’en Europe ;.. mais tous les bébés ont leurs petites indispositions, je suppose que le gros bébé qu’est Alice se tirera très vite des petits malaises qu’elle a eus.

Je te remercie mille fois, mon cher papa, des explications que tu me donnes au sujet de la succession de la chère bonne maman et de la peine que tu te donnes pour administrer ma part. Voici la procuration pour le Crédit, tout ce que tu feras sera bien fait.
Je ne m’attendais pas à pareille succession ; la pauvre bonne maman, en effet, a eu bien tort de tant économiser et de tant se tracasser les derniers temps.
Il est bien entendu, mon cher papa, que, tant l’argent que je t’ai laissé et dont tu as bien voulu t’occuper, que cette succession, sont entièrement à ta disposition ; et que tu me ferais grand plaisir en employant ce dont tu pourrais avoir besoin pour une dépense extraordinaire ou utile ; comme tu le dis, je fais encore partie de la famille et cela est tout naturel.

Jour de Pâques ! J’ai retrouvé le major Hoier hier à Mushao., petit poste de transit au fond d’une baie du lac Kivu. Nos tentes sont plantées à quelques mètres du lac. Il y a avec nous le résident de Mushao, un agent de l’Etat et l’aspirant Elissen, un nouveau cartographe arrivé pour la mission. Pas de mission catholique à moins de trois grosses étapes d’ici … seulement à 7 km une mission protestante dirigée par un … menuisier ! Cela ne ressemble guère à Pâques. Aussi, je viens relire les lettres de « la maison » et écrire, pour être seul et penser aux jours de Pâques passés à la maison. Les beaux offices, les « cocognes », le dîner tous réunis … c’est loin ! pas tant que cela pourtant car en pensée, j’y suis …
Dimanche en quinze, j’espère bien être à la mission de Kabgayi pour mes pâques tardives… Monseigneur Classe m’y attend, en tout cas, avec le major.

Entre-temps, je vais mesurer à un signal, à l’intérieur, qui « cloche », le major aussi. Puis, j’aurai avec moi le nouveau cartographe que je mettrai au courant. C’est un liégeois, tout jeune en Afrique. Il a des bases sérieuses pour apprendre la cartographie et a l’air très sérieux et travailleur. Je crois qu’il deviendra un très bon cartographe. Le major et moi, après Kabgayi, irons à Kigali faire quelques calculs ; puis, je partirai avec Elissen dans l’Est pour le mettre au courant et « l’installer » dans son secteur qui sera Kigali – Gabibu – lac Mohasi, région limite de l’étain et dont on attend la carte pour les routes, et les concessions.

Pendant ce temps, le major travaillera un peu dans le Bugissera, région déserte où il manque de points repères ; et nous nous retrouverons ensuite à Kigali pour terminer les calculs.

Après cela, nous irons au Kivu, au nord du lac et redescendrons en mesurant jusqu’Usumbura. Un troisième cartographe annoncé et l’ancien qui, pour l’instant, est encore occupé dans l’Urundi, seront alors sur place et la carte du Ruanda ira bon train … mais ça nous porte déjà loin … en juillet sans doute !

Cependant, le travail avance bien, je suis très content. Le major Hoier est toujours aussi, même plus, aimable à mon égard et nous sommes fort intimes. Je ne suis resté que 3 semaines seul, maintenant j’ai de la compagnie pour quelque temps. A Kigali, je retrouverai de vieilles connaissances.

J’ai reçu, depuis mon départ, deux lettres de Grethe Hoier … c’est très amusant de déchiffrer ses contes de gosse dans un français tout phonétique, mélangé d’expressions danoises ! Elle sera « confirmée » en septembre. C’est, paraît-il, une grande cérémonie pour les protestants, comparable en importance à la 1ère communion chez nous et elle espère que son « babs » y sera, mais le major n’a aucune envie de rentrer ! J’ai aussi reçu une longue lettre de Charles, à laquelle je ne tarderai plus à répondre. Également des nouvelles de Vandenberg qui regrette les T.O. : au Kasaï, pas d’indigènes, pas de vivres, mauvais climat et travail lent et difficile car tout est boisé. Il est bientôt fin de terme et de carrière.

Le major m’appelle pour prendre un bain … Nous avons fabriqué un tremplin avec des planches et des madriers trouvés au poste et, matin et soir, nous plongeons et nageons. C’est toute l’attraction de Mushao, que nous quittons d’ailleurs après-demain.

Cette photo a été prise plus tard, en juillet 1930, à Goma sur les bords du lac Kivu où Léon semble avoir réitéré sa manie de bricoler un tremplin.

Encore merci, mon cher papa, et pour ta bonne lettre, et pour l’intérêt que tu portes à mon « pécule ». J’espère avoir très bientôt de bonnes nouvelles de tous et surtout de mother.
Mes bien affectueux baisers à tous les frères et sœurs, aux petits, à tante Maria et à toute la famille.
Mes meilleurs pour toi-même, mon cher papa, et pour ma chère mother.

Léon


Et si on chantait ?
Si tu veux, Marguerite – Fragson

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Bugisera est un des districts de la province de Kigali, à l’est du Rwanda, à la frontière nord du Burundi et dont le chef-lieu est Nyamata.

Cette région plutôt insalubre parce que marécageuse s’est illustrée depuis 1959 comme étant la région de déportation des Tutsi. De nombreux massacres y furent perpétrés en 1992, préludes au génocide de 1994.

Entré au noviciat des Pères Blancs à Maison-Carrée (Alger) en 1896, Léon Classe fut ordonné prètre dans la cathédrale de Carthage le 11 mars 1900. Désigné pour une mission au Rwanda, il fonde en avril 1901, à Nyundo, la trois!ème mission au Rwanda puis en 1902 une quar!ème au nord, à Ruaza où il subit la vive opposition de la population Balera.
En 1907, il fut nommé vicaire délégué et établit à Kabgayi le centre religieux du pays ayant d’accéder en 1922 au vicariat apostolique.
Il fut souvent en opposition au roi Musimba mais ne craignit pas d’évangéliser et baptiser ses enfants à son insu.
Passé sous régime de la Colonie belge, il eut le soutien inconditionnel des autorités et participa à la déposition de Musinga aussitpôt remplacé par son fils, premier roi chrétien du Rwanda.
1925 vit l’inauguration de «sa» cathédrale (il en conçut les plans). L’Eglise Catholique du Rwanda dénombrait alors 18 pères blancs, 7 prêtres noirs, 24 soeurs blanches, 12 soeurs noires, 30.000 baptisés et 10.000 catéchumènes, répartis sur 12 missions.
En 1928 s’opéra un tournant majeur de l’histoire religieuse du Rwanda en plaçant sur le même pied l’accès au baptème des Bahutu et des Batutsi, ces derniers étant auparavant écartés.
En 1940, Monseigneur Classe fut nommé par le Pape Assistant au Trône Pontifical et Comte Romain.
Il décéda en 1945 à Usumbura des suites d’une mauvaise chute. Ses talents d’organisateur et de bâtisseur furent unanimement salués