Région Sangu, 20 mai 1928
Ma bien chère mother,
Ta bonne longue lettre avec toutes les petites nouvelles de la famille et de la maison m’a fait le plus grand plaisir.
Voilà donc Charles près de quitter Beverloo. Aura-t-il un congé avant de retourner au Séminaire ?
Je pense qu’il ne gardera pas un trop mauvais souvenir de son service militaire, qui ne fut pas trop dur et que coupèrent de nombreux petits congés !
J’espère que les résultats des écoliers auront été brillants et qu’il auront pensé à m’écrire pendant les vacances de Pâques ! Est-ce que le soleil a daigné se montrer pendant les vacances ?
D’après ce que papa et toi-même me dites de Dédé, il doit être bien intéressant et gentil et toujours le grand favori de tous !… surtout du grand-père ! Marie m’a promis de m’envoyer des photos des deux petits, je me réjouis d’en recevoir.
Pauvre oncle Jo ( de Creedft, son grand-oncle ), dans l’état où il est, il n’y a plus rien à lui souhaiter que le salut de son âme.
Je vais écrire un mot à tante Luce ( tante maternelle ) et à oncle Fernand ( oncle maternel ) et aussi à Terpoorten, jusqu’ici je n’ai pas reçu de leurs nouvelles.
Je comprends que Tensette a été fort affectée par le nouvelle de la mort de bonne maman. Comme me l’écrivait Madame Hoier, c’est un bonheur que nous l’ayons revue tous les deux, et qu’elle ait encore connu Alice et Monique.
Je suis heureux d’avoir des nouvelles du Katanga via Liège, car, moi-même, je n’en reçois pas.
Les plaintes de Nic me laissent absolument froid, tant que cela n’a pas de répercussion sur la vie de Tensette, « it serves him right ». Quant au départ qui lui a été si dur, je pense que Mme Laurenty a mis le nom de Nicolas au lieu de celui de Tensette …
Je suis curieux d’avoir tes impressions sur le fiancé de Germaine, qui sera sans doute venu faire visite …
Ici, cela va toujours très bien. La saison des pluies est à sa fin ; il fera plus agréable de voyager sans draches.
Le cartographe Elissen est presque entièrement au courant de son métier ; il s’est fort intéressé à mes leçons, puis nous avons travaillé ensemble et fait environ 150 km2 ; en tout, je lui ai consacré un mois ; dans quelques jours, je le quitterai et je pense qu’il donnera entière satisfaction. C’est un liégeois, qui habitait Verviers avec ses parents adoptifs qui y ont un magasin de tissus. Son père, entrepreneur de camionnage, a été tué en 1904, à la construction du pont de l’Exposition. Sa mère a été emprisonnée par les boches et est morte en Allemagne. Aussi a-t-il la haine du boche, dans la plus terrible signification du mot. Il y en a encore heureusement qui n’oublient pas ; lui, c’est trop fort, quand il parle des boches, on a presque le frisson. C’est vraiment la haine non atténuée par la religion.
Il s’est engagé très jeune, a été sous officier motocycliste-estafette puis sous officier du génie, puis prévôt d’armes et de gymnastique. Instruction fort limitée, mais assez intelligent et ayant beaucoup d’amour-propre et pas peur de ses peines. Il me plaît beaucoup.
A la fin du mois, je dois retrouver le major Hoier à Kigali ; nous y resterons, sans doute, quelque temps avant de partir ensemble pour le nord du lac Kivu.
Philibert va bien, je lui ai fabriqué un nouveau harnachement et l’ai nommé « premier ministre » !…
Il n’y a qu’un nuage dans la brousse : je n’ai pas encore mon ancien cuisinier et le faisant fonction, qui est avec moi, me fait manger des briques. Il sait juste faire du pain, des pommes de terre et de la poule (coq) rôtie ;.. et encore, ça goûte souvent la fumée. Heureusement que de temps en temps je reçois des légumes de Kigali et que j’ai de quoi faire des compotes pour faire passer le menu ! Jusqu’à présent, je ne suis pas resté longtemps seul … mais Elissen n’est pas mieux servi … cependant, je vais être avec le major, dont le cuistot est meilleur et, en passant à Kigali, nous irons manger des « petits plats » par ci par là.
Le ravitaillement n’est pas encore arrivé et le service des finances nous fait des difficultés et supprime notre indemnité spéciale de mission. Mais je pense qu’une lettre au ministère, que nous allons « pondre » avec le major, mettra fin à ces ennuis.
Voilà, ma chère mother, mon petit journal terminé. Tu vois que je me perds à raconter tous les petits détails !
Tous mes affectueux à tous les frères et sœurs, je t’embrasse bien fort et tendrement comme je t’aime.
Léon
Mon bien cher papa,
Merci beaucoup de ta bonne lettre et des détails que tu me donnes sur ma « fortune ». D’ici quelques temps, je t’enverrai encore un peu d’argent, car, à la banque d’Usa, il dort… Je pense que les mines d’étain du Ruanda vont émettre ou ont déjà émis des actions qui sont d’avenir … Le reste, je n’y connais rien et ce que tu achètes est certainement très bien ; cependant, je ne voudrais pas que tu te tracasses pour cela. J’espère que tu auras reçu ma procuration, envoyée il y a trois semaines.
La fête de Pâques et la St. Léon se sont-elles bien passées … que le temps passe, voilà déjà plus de 4 mois que je vous ai quittés !
Marie m’écrivait que l’on cherchait un « petit endroit » pour les vacances. Je souhaite de tout cœur que vous trouviez et que tout le monde puisse y passer quelques reposantes semaines.
As-tu toujours tant de besogne et les … (illisible) te laissent-ils enfin tranquille ?
Au revoir, mon bien cher papa, encore merci, reçois mes plus affectueux baisers.
Léon
xx