Lettre 14




Mitaristuva, le 6 octobre 1928

                          Ma bien chère mother,

Je viens de recevoir ta bonne longue lettre de Clervaux et suis si content de savoir que, tous, vous y avez passé de bonnes et reposantes vacances. Je comprends le plaisir que l’on a d’être bien installé, dans un pays splendide, en un endroit de « tout repos », délivré de tout souci, et au surplus bien chez soi, en famille. J’espère que ces quelques jours de vacances auront fait du bien à tous, spécialement à toi-même et au cher papa. C’est dommage que vous n’ayez pu prolonger votre séjour et c’est surtout dommage que vous ne preniez pas plus souvent quelques jours de repos ; et j’espère bien que maintenant que vous connaissez l’adresse du « petit coin » idéal, vous y retournerez bientôt !

Je ne suis pas moins heureux, ma chère mother, de voir par ta lettre que tu envisages avec plus de calme et de confiance le retour et l’état de notre chère Tensette. Tu en avais l’air si remuée et effrayée dans ta dernière lettre – ce qui était d’ailleurs compréhensible – que j’en étais tout bouleversé moi-même. J’espère que l’heureuse arrivée de notre petite Tensette avec la petite Alice aura achevé, si pas de dissiper, du moins de calmer tes appréhensions et celles de papa, et que Dieu vous a encore donné la force de supporter cette épreuve nouvelle et d’attendre les événements avec courage et confiance.
Le principal est que l’accouchement se passe bien, après cela … on verra. J’ai pleine confiance pour le premier point, pour toutes les raisons que je te décris dans ma précédente lettre, et … bon espoir pour la suite.

J’ai écrit au docteur Duyck, peut-être viendra-t-il faire visite à papa. J’ai aussi écrit à Nic. pour le distraire … de son égoïsme !
Je n’ai pas écrit à Tensette. J’avais écrit une longue tartine-plaidoyer – mais je l’ai déchirée : elle aurait reçu cela trop près de son accouchement et il ne faut pas qu’elle se tracasse ; il lui faut au contraire beaucoup de calme. Alors, je lui ai écrit une lettre, sans parler de l’avenir trop lointain, me bornant à former des vœux pour son heureuse délivrance. Je crois heureusement que la chère petite rendrait des points en calme et confiance … à tout le monde.
Et je te prie, ma chère mother, de ne pas te tracasser non plus, non plus que notre cher papa, à l’idée de ce retour en Afrique possible. J’ai dans l’idée que cela ne se fera pas.
D’ailleurs, nous avons le temps, car cela ne pourrait se faire que d’ici de longs mois : il ne peut être question, en effet, de transporter un bébé né en hiver en Europe, sous le climat d’Afrique, avant qu’il ait atteint un certain âge. Mais … cela regarde la Faculté !
Puis, il y a Tensette et Alice. Puis il y a Nic., qui n’est pas ni méchant, ni stupide et qui finira bien par comprendre… Le maître ce n’est plus lui, mais c’est l’enfant qui commande !
Que l’enfant soit là bien portant, avec Tensette bien portante, c’est le principal et nous serons déjà bien heureux d’en pouvoir remercier le bon Dieu !

Oui, ma chère mother, les nouvelles de la famille sont plutôt tristes. La mort de l’oncle Jo ne peut être considérée comme un malheur ; c’est, en effet, une délivrance. J’espère que les histoires de succession se seront arrangées sans incidents regrettables.
Et le pauvre oncle Fernand, malgré tous ses torts, on ne peut s’empêcher de le plaindre ; c’est un si bon garçon affectueux et généreux ;.. il paie vraiment trop cher sa faiblesse.
Quant aux nouvelles de Terporten, c’est désolant. Pauvre petite Marthe, moi je la croyais remise. Loulou, dans une lettre reçue au dernier courrier, me disait qu’elle était complètement rétablie … il est vrai qu’il est loin aussi et ignorait encore alors la rupture des fiançailles de Germaine. Il me dit qu’il se pourrait qu’il prolongeât son séjour à Salonique – il attend des instructions de Bruxelles. Il n’a pas l’air enchanté de la Grèce – la seule chose de bien, dit-il, c’est qu’on y gagne largement sa vie.
J’espère que le voyage à Lourdes fera du bien à Germaine et à la petite Madeleine, et aussi à tante Gaby, qui doit avoir vécu des jours bien pénibles.

La vocation de Tony Hellemans m’étonne fort. Je n’avais pas l’impression de cela, il me semblait plutôt un jeune « snob… je lui en demande pardon !

Ici tout va bien. Je suis dans la vallée de la Ruzizi, il fait terriblement chaud. Tu t’en apercevras à l’écriture : l’encre sèche sur ma plume … (ça me rappelle Norwood, où l’encre gelait dans mon « fountainpenn ? »).

Je passe demain la Ruzizi, pour me rendre à une colline au Congo Belge (Tshamata). De là, je me rendrai à Uvira, puis traverserai le lac pour arriver à Usumbura. Je resterai quelques jours à notre camp de base Bagatelle, pour régler différentes choses ; puis recommencerai vers le Nord, en mesurant, mon voyage. La saison des pluies est commencée, mais il fait encore brumeux et pas bien joli temps pour les mesures.
Je n’ai plus de nouvelles du major Hoier … il est perdu dans la forêt … ou dans les marais de l’Akanyam .. ; trop absorbé dans sa carte pour écrire. Grethe m’écrit plus régulièrement !
Mon cuisinier va bien et me soigne très bien. Philibert est en parfait état, le reste de mon personnel aussi. Il n’y a que les quelques recrues de ce terme qui « font la maladie » du Kimputu – c’est presque fatal pour les gens de l’intérieur qui séjournent dans cette plaine ; pour les vieux, il n’y a plus aucun danger.

Il n’y a rien à dire sur cette région, je l’ai déjà traversée si souvent que j’en ai certainement déjà parlé. Grande plaine, brousse épineuse, peu de population, disséminée dans la plaine ou dans les contreforts des montagnes qui tombent à pic … Pays ingrat point de vue climat et point de vue population. On a difficilement le contrôle sur la population parce qu’elle est trop disséminée. Les anciens chefs sont tous en prison, c’étaient tous des assassins et des voleurs de grand chemin … mais ils tenaient leurs gens, qui étaient, et sont encore, des assassins et des voleurs et cela « marchait »… on obtenait ce qu’on voulait. Maintenant, il y a des chefs très honnêtes qui n’ont aucune autorité et n’en auront jamais et ça « marche mal ».

Heureusement, on me connaît par ici ; je n’a pas eu trop de difficultés.
La plaine est rase en cette saison, toutes les herbes sont brûlées. On voit parfaitement la Ruzizi et les multiples lacs (fort restreints à cause de la sécheresse) qui sont cachés, en d’autres saisons, par une broussaille formidable. Les troupeaux d’éléphants y voyagent toujours et s’amusent à abîmer la route qu’on s’efforce de rendre automobili… sable ! (Usumbura-Bugarama-Shangugu).
La compagnie de la Ruzizi est installée plus au sud, j’y passerai plus tard. Je suis cependant passé à Nyakakundu où il ont une concession .. ; ils sont ici pour planter du coton, mais se contenteront d’acheter celui que cultivera l’indigène et plantent du … café (évidemment !) qui rapporte plus. C’est mon ami Coulon, qui est directeur de cette société en Europe (capitaux socialistes !).
Ma chère mother, je te quitte en t’embrassant ainsi que mon cher papa, bien fort et affectueusement.
Tous mes meilleurs baisers à toute la famille … plus nombreuse encore depuis peu !

                          Léon

PS : j’ai reçu une lettre de Mimie, avec beaucoup de photos (Monique pousse !). Merci beaucoup, je lui écrirai très bientôt. J’ai vu sur une des photos, que ta coiffure est réellement changée … ça ne te vieillit pas tant que je ne l’aurais cru d’après la première ! Encore mille baisers, Léon



Et si on dansait ?
Miwela Miwela – African Jazz

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La maladie dont parle Léon se rapporte à la fièvre récurrente (tick fever) africaine causée par «Treponema Duttoni» et transmise par «Ornithodorus Moubata» qui est une tique que les congolais appellent «Kimputu» vivant surtout dans le sol et les murs des huttes africaines. (Hygiène des travailleurs noirs -1933)
Elle est difficile à éliminer et résiste à beaucoup d’antiseptiques.

Le «Guide du voyageur» publié par Infor Congo en 1956 la mentionne :

Le nom «Kimputu» est utilisé en tsiluba, Lulua, ki-kussu et kiswaheli. Les baluba prononcent «tshimputu». (J. Ghesquières 1922)

Fountain Pen est le nom générique du stylo plume pourvu d'un réservoir interne d'encre liquide. Le stylo aspire l'encre du réservoir à travers une alimentation vers la pointe et la dépose sur du papier via une combinaison de gravité et d'action capillaire.
Le remplissage du réservoir d'encre peut être réalisé manuellement, via l'utilisation d'une pipette ou d'une seringue, ou via un mécanisme de remplissage interne qui crée une aspiration (par exemple, via un mécanisme à piston) ou un vide pour transférer l'encre directement à travers la pointe dans le réservoir .
Certains stylos utilisent des réservoirs amovibles sous forme de cartouches d'encre préremplies.

(Wikipedia)