Gisi, le 11 mars 30.
Ma bien chère mother,
Que tes longues lettres me font plaisir et m’intéressent dans leurs moindres détails ! Mille fois merci pour celle du 12 janvier.
Merci aussi de tout cœur de ce que tu me dis au sujet de mon retour projeté pour l’ordination de Charles et pour le 25ème anniversaire. J’en parle dans ma lettre d’avant hier à papa.
Je me demande aussi où Charles sera envoyé – peut-être devra-t-il faire du professorat ? Cela lui irait-il ?
Maurice semble bien lancé comme journaliste et joyeux étudiant – mais aussi bien décidé à passer les deux épreuves qui l’attendent.
Quant à Albert, s’il étudie bien, c’est le principal – un concours en mathématiques peut fort bien réserver de vilaines surprises … et, en flamand – nous n’avons rien hérité des de Creeft à ce point de vue ! et les de Creeft eux-mêmes …
Tensette m’a écrit longuement – elle semble très heureuse, fort occupée de Lilice, sa petite poupée … et contente d’avoir moins d’ennuis de sujet. Elle comprend sans doute mieux Nic que nous … par exemple : les affaires marchent tellement bien qu’on pourrait y laisser un gérant – mais d’abord elles le prennent de 7h du matin à 7h du soir et ensuite, il n’a jamais le sou ! Moi, je ne comprend pas ; il est vrai qu’en affaires, je n’y vois rien. Qu’il regrette l’Afrique, c’est fort naturel – on regrette toujours ce que l’on n’a plus et puis, comme Tensette dit si bien « Paris ce n’est pas son idée » – il n’a pas choisi la situation qu’il a, donc ça ne lui plaît pas. Enfin, si Tensette est heureuse, c’est le principal et si elle pouvait grossir un peu, ce serait parfait. Ne jamais désespérer sur ce point … voyez tante Luce !
Grâce à une photo que m’a envoyée Marie, j’ai fait connaissance de la petite Mamo, quelle mignonne petite !
Et j’ai pris un jour de congé et j’ai écrit à toute la famille : tous les frères et sœurs d’abord et tous les oncles et tantes (les vrais s’entend ! tante Gaby y compris et Augustin de Creeft).
Oncle Fernand m’avait envoyé sa photo et deux petites photos prises par Adrien à la mer – un groupe (papa, oncle Maurice, tante Luce, Adrien et toi) est très bien réussi. Sur sa photo à 50 ans ! Oncle Fernand est très bien.
Tante Maria semble enchantée de sa nouvelle installation. Elle m’a aussi écrit.
Marthe m’a écrit pour la nouvelle année, elle ne parlait pas d’aller en Suisse alors, la pauvre. Et Germaine – ça n’a pas l’air brillant encore …
Marie Fossoul m’a annoncé ses fiançailles – elle semble tout à fait « emballée ».
La pauvre tante Marie Hustinx n’est donc pas au bout de ses misères !
Est-ce que Marie-Thérèse est bien remise ? Pourvu que son second bébé ne l’épuise pas complètement.
Et Louise ? Aura-t-elle recours encore à Monsieur le Docteur … voilà bien des événements chez les Fossoul aussi pour cette année ! Alice m’a écrit dernièrement.
Je suis content que ma petite lettre ait fait plaisir à Joseph Ghysens – ils sont tous toujours bien gentils.
Tu vois, ma chère mother, j’ai été gâté ces derniers temps au point de vue correspondance et aussi il m’a fallu « en mettre un coup » pour ne pas laisser trop d’aimables missives sans réponse.
J’ai eu aussi – évidemment- de nombreuses nouvelles du major Hoier. Il n’est pas nommé lieutenant-colonel comme il espérait et a démissionné des troupes ; il n’est pas enchanté des façons d’agir du ministère à son égard – cela ne m’étonne seulement, quoique le major méritait mieux…
On prétend entre autres qu’il n’a que ? 17 ans 11 mois et 21 jours de service et on lui fait des difficultés pour lui accorder la pension de 18 ans ! Tu vois que ces messieurs de Bruxelles ne sont pas toujours faciles – tas de ronds de cuir ! Par contre, bien que regrettant l’Afrique, il est content de sa situation d’administrateur du Parc Albert – il compte venir ici en voyage l’an prochain ; et, pour se consoler de ses chasses d’ici, il poursuit le lapin et la perdrix dans le Limbourg !
Grethe suit des cours de français à Bruxelles et Madame m’écrit qu’elle s’habitue tout doucement à la capitale.
Le major me dit qu’il s’occupe lui-même du café que nous avons envoyé d’ici – mais qu’aucune nouvelle n’en est encore arrivée à Anvers. J’espère que ce malheureux café finira par arriver ! Et peut-être le major aussi !! Son adresse est 4 avenue Princesse Elisabeth à Schaerbeek et non n° 2 comme je crois l’avoir écrit d’abord.
Ici, rien de bien neuf – tout va très bien. J’ai quitté, pour de bon j’espère, les régions inhospitalières de l’ouest et suis depuis près d’un mois aux environs de Rutshuru et de la mission de Lutenga (Rugari). Je mesure ces jours-ci aux signaux qui sont au pied des grands volcans Tshanina-Gongo, Nyamlagira et Mikeno. Le pays est assez difficile – ou de la lave nue ou de la terrible brousse. Les populations sont en bas et peu nombreuses – l’eau est rare et, bien heureusement, il pleut et, à la première goutte, casseroles et bassins sont disposés en dessous du toit de tente pour récolter le précieux liquide ! C’est la meilleure eau d’ailleurs qu’on puisse avoir et avec des draches comme ces jours-ci, on a vite des seaux ! Le pays est fort sauvage et grandiose ; lorsque après une pluie, les nuages quittent les sommets du Mikeno (4.487 m) et de son voisin de Karisimbi (4.506 m) on les aperçoit couverts de grêle, c’est très joli. Le Mikeno surtout fort déchiqueté et quasi inaccessible est de toute beauté. Je suis en plein « parc Albert » mais n’ai pas encore vu les gorilles ! D’ici, je remonte vers le nord où le pays est tout à fait bien, je compte y rester encore un mois pour les mesures – il commence à faire clair – après, je passerai au sud aux environs de Kisenyi … dont l’éloge n’est plus à faire ! .. et y resterai aussi un mois sans doute.
Et après, ce sera ou bien le retour, ou je ne sais quoi !
Ma bien chère mother, je te laisse, encore mille mercis de ta bonne longue lettre.
J’espère avoir encore bientôt de bonnes nouvelles de tous et spécialement de très bonnes du cher papa.
Je serai curieux d’avoir les impressions de Lucie sur Paris ! et la banlieue et la lettre de Mimie est attendue puisque annoncée !
Mille affectueux baisers à tous, je t’embrasse, ma chère mother, bien fort et bien tendrement.
Léon