Lettre 34

Camp de Birindi, lez Cos’ville, le 1.09.30


Ma bien chère Mother,

Combien heureux je suis d’avoir des détails sur les fêtes de l’ordination de notre cher Charles ; et combien je regrette d’avoir manqué ces émouvantes cérémonies et ces réconfortantes journées que tu me décris. L’admirable liturgie de l’ordination – la première bénédiction d’un jeune prêtre à ses parents et aux siens – l’émouvante simplicité de sa première messe en famille – et la grandiose beauté de sa première messe solennelle – après cela, la réunion de famille, les discours émus, la joie et la fierté de tous, la reconnaissance du jeune prêtre envers ses parents et celle de tous envers Dieu ; tout cela, j’ai voulu me le figurer – tout cela crée une atmosphère dans laquelle pour mon plus grand plaisir et pour le plus grand bien de mon âme, j’aurais voulu vivre quelques jours avec vous.

Je suis certain que, pour tous, ce furent des journées inoubliables et réconfortantes et que, particulièrement pour toi, ma chère mother, et pour mon cher papa, ce furent des jours pleins de sainte émotion et de douce consolation.

Dans sa lettre, Charles se dit tout heureux d’avoir été choisi par Dieu pour vous être une cause de joie, de bonheur et de fierté – et pour combler vos vœux en vous donnant un fils prêtre.
Je suis assuré que toute sa vie sacerdotale vous sera, à papa et à toi, une source de bénédictions et de réconfort. Et je me joins à vous tous pour en remercier Dieu de tout cœur.
Charles me dit dans sa lettre toute sa joie et sa reconnaissance en Dieu, mais il se montre aussi pénétré de ses divins pouvoirs et de sa divine mission.
Il fera un saint prêtre – et partout où ses supérieurs l’enverront, soit comme vicaire, soit comme professeur, son zèle lui gagnera les âmes et les grâces du Ciel.
Son affection pour nous nous attirera les bénédictions de Dieu. Je suis spécialement touché de ce qu’il ait pensé à moi dans son discours et plus encore dans ses prières – il m’écrit m’avoir fait l’immense faveur .. ???? (bas de page non photocopié !)

J’espère que Charles a pu prendre quelque repos et remettre à neuf son estomac malmené par le régime du séminaire. Peut-être, s’il était envoyé à Louvain pour y poursuivre des études, cela ne serait-il pas excellent pour sa santé ?

J’espère aussi que papa et toi-même vous vous êtes décidés à prendre des vacances et de longues ! N’iriez vous pas voir l’exposition d’Anvers ? Celle de Liège est-elle un succès ? et les fêtes-cortèges, etc… le soleil se met-il de la partie ? D’après les illustrés, il y a des fêtes magnifiques partout en Belgique. Le détachement noir (compagnie et musique de Léopoldville) est-il venu à Liège ? C’est mon camarade Houba qui est rentré avec le détachement, le veinard ! Je pense que les braves « « jass » nègres sont fort éberlués et aussi fort tenus – cloîtrés à la caserne, en dehors des manifestations officielles (et pour cause !…) et seront contents de rentrer chez eux – tant mieux !

Je suis content que Tensette et Lilice aient pu faire un assez long séjour à Liège. D’après la photo que m’envoie Tensette, elle-même et Mimie ont changé – peut-être à cause des cheveux – Tensette paraît bien et Mimie un peu vieillie ! Quant aux demoiselles, j’ai dû deviner ; passe encore pour Lucie, mais Suzanne est méconnaissable – quelles jeunesses ! Je jugerai mieux sur le groupe que tu m’annonces et que je me réjouis de recevoir.

Comment Albert et Jimmy ont-ils terminé leur année de Collège ? et que compte faire le premier, j’en suis curieux – il l’ignore peut-être encore lui-même ..  J’ai été peiné de l’échec de Maurice, j’espère qu’il se rachètera brillamment en octobre – je lui ai écrit un petit mot d’encouragement.

J’avais reçu des nouvelles de Terpoorten par tante Gaby assez récemment, mais elle ne me parlait pas du projet de Werner de s’expatrier (encore un … c’est une maladie, dans la famille, tout à fait contagieuse !) – ni du voyage des cousines à Lourdes – j’espère que ce voyage les réconfortera, spécialement la petite Madeleine. Tante Gaby me parlait aussi du colosse qu’est devenu Walter « l’Indien » et me disait que le retour de Loulou est remis à l’an prochain. J’envoie par ce courrier quelques photos, toutes prises par Hermans – les unes récentes et d’autres datant encore de l’année passée, mais dont je n’ai reçu que ???(bas de page mal photocopié)

Quelques nouvelles d’ici.
Je suis toujours à Bukavu (Costermanville) ou plutôt au camp de la mission, à 7 km de là.
Les pluies recommencent et transforment la ville en un cloaque ! Décidément, il faut une auto pour pouvoir vivre ici, tant Costermanville est étendu. L’autre jour, j’ai fait, avec M. Buillon (directeur du Crédit Agricole) un tour en auto, rien que les différentes presqu’îles. C’est formidable le nombre de km que l’on fait et on est toujours « en ville » ou soi disant. En commençant à la Ruzizi, la frontière, et juste en face de Shangugu, il y a une première presqu’île avec quelques maisons et un hôtel très bien construit, mais coûtant fort cher et destiné aux « très futurs » touristes de marque ; après, il y a la presqu’île de Nyalukemba avec son château ; ensuite celle du Comité National du Kivu avec beaucoup d’habitations dont une de 40 mètres de façade (en construction) destinée au directeur général ; après, celle de la marine et du camp des troupes de la garnison ; enfin, la « botte » réservée au gouvernement, bureaux et habitations des fonctionnaires … je dis « enfin » et je n’ai pas compté que le quartier commercial va jusque fort loin vers le sud du lac, tandis que vers le nord et le long de la rive, il y a le quartier industriel, l’hôpital et, à 4 km, le chantier de construction de la marine … dans la même direction, mais au km 7, c’est chez nous.
Quand il y a de la boue et quand on n’a qu’une bicyclette, c’est gai de devoir aller à Cost-ville ! Je n’y suis allé que le moins possible – presque chaque fois chez le Commandant Brasseur, un charmant officier, qui commande la compagnie de garnison.
Il y a eu bouleversement dans les courriers et les bateaux sinon, il y a longtemps que je serais de retour à Goma.
Le vieux rafiot du « papa Duphan » a eu besoin de réparation. On en construit un neuf mais quand sera-t-il prêt ? Pas cette année sûrement – nous partons dans quelques jours.
J’ai reçu des nouvelles de Bruxelles et l’on nous envoie au Nord de Rusthuru jusqu’au Lac Edouard. Ce n’est pas bien long ni bien difficile comme travail ; seulement, le pays très giboyeux est quasi désertique et la question des porteurs et des vivres sera difficile à résoudre. Le commissaire du district ne veut rien me promettre car, hommes et vivres du territoire de Rutshuru sont tous employés à la route vers le nord pour la jonction du sud avec le nord, réseau routier Ituri et Uele. Je ne sais comment cela ira – je pense, pas vite !
Mêmes difficultés pour Van Den Berg et Alligant qui font la carte après nous ; ils iront en attendant, je pense, à l’ouest du lac pour ne pas être tous dans la même région.
Hermans part l’an prochain dans une mission anglo-belge dans l’Uganda. On nous annonce un sous lieutenant et Elissen qui revient marié (pauvre femme !). Le major Hoier viendra pour le parc Albert (voyage d’environ 6 mois), début de l’an prochain.
Je suis à présent très bien reposé et tout à fait bien portant et « fit » pour reprendre la brousse ; Ce travail me mènera tout doucement au début de l’an prochain et je compte rentrer au printemps – après on verra ! Le temps passe terriblement vite, les mois diminuent, mais je préfère maintenant laisser passer les mois d’hiver !
Ici, il fait mort – c’est c’est la « crise », on construit très peu, assez bien de blancs liquident et ????? (illisible)
On travaille beaucoup aux routes ; celle vers Uvira est entièrement empierrée et est très bien – c’est la seule, les autres sont terriblement boueuses à la moindre pluie et comme elles sont fort accidentées … on ne passe que quand c’est sec.

Aux T.O., on pousse activement le travail des routes – il est temps. On ne parle plus de famine. Le recrutement s’y fait sur une grande échelle – un syndicat SETI, dont un de mes camarades est directeur, recrute pour les T.O. mêmes (routes) et le Kivu. L’Union Minière continue à recruter de son côté ; il y a un nouveau gouverneur, M. Voisin, on le dit très énergique.

Voilà les petites nouvelles. J’espère bientôt apprendre que papa est bien remis de ses rhumatismes et a passé de longues vacances avec toi – qu’il ne regarde pas à la dépense, la santé avant tout. Je me réjouis d’avoir d’autres détails et la photo du 8 juillet ; comme d’autres bonnes nouvelles, j’espère. J’ai écrit à Mimie par ce courrier. J’aime à croire qu’elle va tout a fait bien.
Ma chère mother, encore merci de ta bonne et affectueuse lettre. Mille gros baisers à tous les frères et sœurs et à toute la famille, sans oublier les tout petits. Mes plus tendres et affectueux pour toi-même et mon cher papa.

                             Léon

P.S. : j’ai rencontré ici le substitut du procureur du roi, Syndic Raoul ????? (illisible) – c’est le frère aîné de Bruneau, condisciple de Jean Fossoul (et jésuite, je crois) et le fils du directeur de la fabrique de ciment de Devant-le-Pont. Il est assez bien plus âgé que moi et 2nd terme. Une de ses soeurs, est « sœur blanche » à la mission de Bohandana. Nous avons parlé toute une après-midi de Visé, des Fossoul et des connaissances communes.


Cette lettre est la dernière reçue du séjour de Léon lors de sa campagne 1928-1930, la suivante étant plutôt un commentaire des précédentes.

La Force Publique de Goma – 1930


Et si on chantait ?
Frou-Frou – Berthe Sylva

La pub de l'époque


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Devant le Pont est un quartier de Visé, ville natale de Léon Haulet.
Situé sur la rive gauche de la Meuse, il est bordé à l’ouest par le canal Albert et au Nord par le canal de jonction qui relie la Meuse au Canal Albert. Il est en quelque sorte l’ «outremeuse» visétois.
A la Saint-Martin, on y procède traditionnellement à la décapitation de l’oie. ( le Mati l’Ohé visétois…)
L’île Robinson était au départ un simple arrêt pour bateaux-Mouche avant de devenir à partir de 1930 un lieu de plaisirs avec guinguettes, plaines de jeux, bassin de natation et palais de la danse et de la musique.
Les gastronomes ne peuvent pas manquer «l’oie à l’instar de Visé»
(http://www.1579.be/oie.htm)

Photo : Dorothea Lange

Durant les années 20, les Etats-Unis connaissent une croissance sans précédents. Si la production industrielle a grimpé de 50%, les cours en bourse ont cru de 300%. La spéculation règne en maître et l’économie réelle n’est plus financée.
En 29, la production industrielle chute de 7% mais la bourse prend encore 100% ! Les prises de bénéfice se multiplient mais plus personne ne veut acheter des actions surcotées et sans avenir.
Le jeudi 24 octobre, les cours s’effondrent de 22%, les banques tentent de soutenir les cours. Le volume des transactions de la journée passe d’une moyenne de 2,5 millions à 13 millions. Certains flairent la bonne affaire et font des crédits pour encore spéculer.
Le 28, rechute de 13% du Dow Jones puis encore 12% le lendemain. La spirale sans fin est enclenchée, des milliards de dollars (10 x le budget fédéral) partent en fumée.


A la crise boursière succèdent crise économique puis crise bancaire et finalement énorme crise sociale.
La livre Sterling est dévaluée en 1931, le commerce mondial chute de 66% entre 1929 et 1933.
Internationalement, la crise se propage entraînant des mesures protectionnistes de Etats et la montée des régimes totalitaires. Hitler passe de 3% en 1928 à 37% en juillet 32 et prend le pouvoir fin janvier 33.
En fin de parcours se profile inévitablement la 2ème guerre mondiale…

Le Congo eut lui aussi à subir cette crise mondiale. Comme la Belgique, le Congo est gros exportateur or la demande et les prix se sont effondrés. L’arachide par exemple passe de 1,25 franc à 25 centimes. Au Katanga, l’emploi chute de 70% et nombre de travailleurs regagnent leurs villages.
La Colonie payait aux indigènes 25 centimes le kilo de palmiste ou 1,25 franc le kilo de copal, ces montants sont tombés à 5 centimes et 25 centimes. Ce travail déjà pénible ne donne plus de quoi payer l’impôt.
Ajoutés au ressentiment contre l’administration coloniale, les effets de la crise occasionneront en 1931 la plus importante révolte de l’histoire du Congo belge, celle des Pende du Kwango (Kasaï)?

(La repression de la revolte des Pende du Kwango en 1931 - VANDERSTRAETEN.pdf)

Au moment où Léon écrit ces lignes, les premiers effets de la crise se manifestent. 1931, 1932 et 1933 les prendront de plein fouet.
En réalité, il faudra attendre 1937 pour que le Congo retrouve la croissance d’avant la crise.


Baie de Nyalukemba. Sur la photo à l’avant-plan à gauche, on voit très bien le palais du gouverneur sur la 1ère des trois presque îles (la troisième décrite par Léon).

A l’extrême sud du lac Kivu, Le poste de Nyalukemba est à l’origine de la ville de Bukavu (appelé aussi Costermansville).
Auparavant dépendant du District de Tutshuru de la Province Orientale, Bukavu devient à partir de 1924 chef lieu de district du Kivu.
Sa situation en bord du lac Kivu en a fait la «Suisse d’Afrique»
Aujourd’hui, Nyalukemba est un quartier particulièrement défavorisé de la ville de Bukavu devenue quasiment un immense bidonville où règne l'insécurité.

https://afrique.lalibre.be/23253/rdc-300-maisons-calcinees-a-bukavu-en-une-semaine/

L’expo de Liège s’est clôturé e le 3 novembre 1930 après avoir accueilli 6 millions de visiteurs.
Célébrant le centenaire de l’indépendance de la Belgique, ce n’est pas vraiment une «Exposition Universelle» mais plutôt une Exposition Internationale de la grande industrie, sciences et applications, art wallon ancien.
Elle se tient au sud sur les site de la Boverie et du jardin d’acclimatation, au nord sur celui de Coronmeuse et celui de Droixhe.
Cette célébration du Centenaire sera doublée par l’Exposition d’Anvers, consacrée à la marine, à la colonie et l’art flamand ancien.