Lettre 37

Cette double lettre (la 20ème dans le livre) a été découverte parmi les manuscrits originaux transmis par Gaëlle Haulet et était inédite sur le site jusqu’à présent.

Nyamirundi, le 5 mars 1929

Mon bien cher papa,

Un petit mot en plus de mon journal – où je ne parle que trop longuement de moi-même – pour te souhaiter une très bonne et heureuse fête.

Voilà bien des années déjà que je suis pas à la maison pour fêter la St. Léon ! Ce n’est pas que j’attende ce jour-là pour souhaiter à mon cher papa tout le bonheur possible, mais cela n’empêche que, toutes les années, je regrette de ne pouvoir le faire avec tous, de vive voix, le 11 avril.
Dieu veuille que l’an prochain, ou au moins dans deux ans, je sois de la partie ! pour fêter le jeune grand-père qui aura alors 60 ans… ça va vite ! Moi, j’en aurai bien 30 ; ne trouves-tu pas cela encore plus drôle ?


J’ai à peine répondu à tes trois bonnes dernières lettres. J’attends avec impatience le courrier, espérant de bonnes nouvelles de notre chère Tensette. Dieu veuille que la perspective de se créer un bon petit foyer en Europe avec son mari et la petite Alice, pas trop loin des siens, lui fasse oublier toutes ses épreuves et qu’elle ait maintenant une vie bien calme et bien douce.

L’avant dernier courrier m’a apporté une correspondance comme jamais encore je n’en ai reçue… il y avait des lettres de partout et de tous.
Le contingent de la maison était déjà imposant à lui seul !

Marie m’annonce son nouvel espoir… heureusement, pour elle on peut se réjouir sans arrière-pensée !
Julia, qui sera toujours la même, m’écrit tout exprès pour m’annoncer la même nouvelle chez elle !
J’ai reçu une longue tartine d’oncle Fernand, il me parle de la vente et me dit que ma part s’élève à près de 50.000 frs… alors qu’avec les 25.000 que tu m’annonçais, j’étais déjà tout étonné. Et dire que Tensette et nous tous, nous nous moquions toujours de l’héritage de 4 cents 1⁄2 du brave oncle ! Je suis vraiment content que tout, en fin de compte, se soit si bien passé. Le contraire eût été déplorable.

J’espère que tu auras bien reçu les 45.000 frs que je t’ai envoyés dernièrement, sans d’abord te demander la permission… et j’espère surtout que cela ne te causera aucun ennui.
Ne crois pas que je fasse du commerce… mais, depuis 1924, nos traitements ont été quadruplés, dont deux augmentations récemment. Mon traitement annuel est de 75.000 francs à présent et je ne dépense pas grand-chose en brousse où la vie est bon marché et les distractions coûteuses et magasins bien lointains. Cela joint aux autres avantages que j’ai, j’estime que ma situation n’est pas à dédaigner.

Les nouvelles d’Europe concernant le flamingantisme m’écœurent profondément – si l’on ne savait que, au fond, il n’y a que politicaille et menées de quelques individus bons à prendre – on serait honteux d’appartenir au même pays que les flamands, du moins les anversois .
Je trouve que le Roi devrait, en pareilles circonstances, sortir un peu de son rôle constitutionnel et de sa tour d’ivoire et faire acte d’autorité pour mettre fin à ces scandales. La Belgique lui en serait reconnaissante.

Mon cher papa, j’espère que les tristes émotions qui ont dû accompagner le malheureux accouchement de Tensette, ne sont déjà plus pour tous que de mauvais souvenirs et que tout le monde se porte à souhait ; y compris les trois petits qui continuent, j’espère, à faire beaucoup de bruit et beaucoup de joies autour d’eux.

Porte-toi bien, mon cher papa, et ne te fatigue pas trop ; reçois encore tous mes souhaits les meilleurs de bonne fête et mille mercis encore pour tes lettres et pour tout ce que tu fais pour moi. Vive St. Léon – vive notre « petit papa ! » et vive « nos aûtes ».

Je t’embrasse bien fort et affectueusement.

PS : Merci d’avoir bien voulu faire le partage à St.-Nicolas – évidemment le filleul a droit de privilège ! Mais c’est bien peu de choses et je suis content que j’ai pu leur faire plaisir… seulement, si je reçois encore tant de remerciements, je n’oserai plus jamais recommencer !

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Ma bien chère mother,

Je relis encore ta bonne lettre de fin novembre et suis honteux d’y avoir si mal répondu.
Merci encore, mother, tu sais combien j’aime tes lettres si pleines de détails concernant tout et tous – c’est une vraie revue de toute la famille !

J’ai reçu une lettre de tante Gaby, qui me dit que tante Luce et toi-même avez tant acheté à la vente de la rue des Nerviens, que je retrouverai la moitié de la maison du pauvre oncle Jo à Liège et à Heusy… mais je sais qu’elle aime exagérer !
Elle loue aussi oncle Fernand pour la façon dont il a tout arrangé; comme à toi, cela m’a fait grand plaisir. Et tout le monde doit lui être reconnaissant non seulement pour cela, mais aussi pour avoir négocié la réconciliation entre Léon et Fernand de Creeft., qui était bien ennuyeuse pour toute la famille.

Quel dommage qu’il ne puisse être un peu plus énergique avec sa femme et ses beaux-parents ! J’espère au moins qu’il trouvera une occupation ou une distraction quelconque.

Je n’ai pas encore écrit à oncle Maurice (Maurice Pollet-Duesberg) pour le féliciter de sa nomination de chevalier de l’ordre de Léopold. Je suis certain que cela lui aura fait plaisir ainsi que et surtout à tante Luce !

Ma chère mother, j’espère que les tristes moments que tu as dû passer ces temps dernier n’auront pas eu de mauvaise influence sur ta santé et que les … (La fin de cette lettre manque…)


Un tableau de correspondance entre la numérotation des lettres du livre et celles publiées sur le site est visible à la page https://haulet.be/correspondance-des-lettres-site-livre/


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Compte tenu de l'inflation, le pouvoir d'achat de 75.000 francs/an en 1929 correspond à 5.446.774,62 euros en 2023 soit 453.897,89 euros par mois !
Source : https://calculis.net/inflation

Léon mentionne ici l’élection d’Auguste Borms à Anvers en décembre 1928.
Elu avec 83.058 voix de préférence soit 2/3 des votes alors qu’il était en prison et déchu de ses droits politiques, son élection fut invalidée et fit de lui un symbole de la lutte nationaliste flamande pour l’amnistie. En effet, en tant que militant flamand, il collabora avec les occupants allemands lors de la 1ère guerre mondiale. Il participa à la création du Conseil de Flandre qui, en 1917, proclama l’autonomie de la Flandre.
Condamné à mort en septembre 1919, sa peine fut commuée en détention à vie et éteinte en janvier 1929.
Lors de la seconde guerre mondiale, il fut « réhabilité » par l’occupant allemand et présida une commission visant à rendre aux anciens collaborateurs condamnés titres, honneurs et généreuses indemnités.
Rapatrié après sa fuite à Berlin en 1944, il sera condamné et fusillé en 1946.